Beckett nous confronte sans concession à une obscurité intérieure, ce fut là sa révélation à l’été 1945, qui est un non-savoir ne permettant ni de juger, ni d’affirmer quoi que ce soit...
"Beckett, nuage d'inconnaissance" par Charles Méla.
Beckett nous confronte sans concession à une obscurité intérieure, ce fut là sa révélation à l’été 1945, qui est un non-savoir ne permettant ni de juger, ni d’affirmer quoi que ce soit, ni de connaître qui que ce soit.
Et pourtant, habités par cette nuit, il faut bien avancer jusqu’au bord du gouffre, et avancer encore, en traînant un corps misérable, estropié, amoindri, en rampant de quelques millimètres encore, dans l’attente qui n’en finit pas. Rien n’est plus réel que rien, disait-il d’après Démocrite.
Cette désidéalisation du monde et de soi-même, cette déprise de toutes les illusions, qui se traduit aussi par une prise en compte des fonctions les plus basses du corps, par une mise en tension permanente des contraires, n’exclut cependant ni le courage ni une profonde compassion humaine.
Mais cette impossibilité à trouver du sens, à donner du sens a fait basculer la littérature dans la seconde moitié du XXe siècle, la réduisant par les mots à toujours plus de silence, la conduisant à dessein vers le silence.
Et si tout le mal et la folie du monde tenaient justement à ce qu’on croit savoir, aux certitudes, aux vérités qu’on croit détenir et aux convictions jusqu'à l’intolérance. Et cela, faute de prendre au sérieux notre ignorance foncière, notre finitude sans au-delà, la réalité dégradée de nos corps et le désordre des choses.
Cet appauvrissement volontaire qui nous affronte au rien a été authentiquement cathartique.
Avec Federica Gamba et Jean-François Hoche
Mise en scène - Jérôme Mélà
Scénographie : Zhang Moyu